A tous ceux qui ouvrent ces pages,
Ce que vous tenez entre vos mains est plus qu'un simple journal intime. C'est également la preuve qu'un monde fantastique se font dans NOTRE monde réel. En le regardant, en le feuilletant, vous vous rendrez compte que le chaos est présent dans notre vie de tous les jours, et vous douterez. Ces photos ne sont pas un leurre, elles ne font que capter un instant quotidien.
Le Chaos au quotidien, Je n'en parle pas comme maléfice ou comme vide, mais comme un phénomène auquel nous attachons plus ou moins d'importance suivant notre disposition.
Pourquoi la photographie?
Parce qu'elle représente à la fois le souvenir et la réalité. Et comme l'explique plus précisément Barthes dans la Chambre claire : "Dans la photographie, quelque chose s'est posé devant le petit trou et y est resté à jamais". Ou encore "c'est comme un théâtre primitif, comme un tableau vivant, la figuration de la face immobile et fardée sous laquelle nous voyions les morts". Car pour lui, se faire photographier, c'est personnifier la mort. On parle de réel mais à l'état passé. C'est à dire que ce procédé permet à la fois l'immobilisation du temps, mais surtout, oblige la spectateur à le croire. Donc même si l'image lui paraîtra fantastique, illusoire, irréelle, sachant qu'il s'agit d'une photo, il ne pourra pourtant pas nier qu'elle représente la réalité. Barthes cite que "toute photographie est un certificat de présence", "un réel que l'on ne peut touche".
Mon but n'est pas de représenter un Chaos Illusoire, mais tiré tout droit de la réalité. Ce sont de brefs instants quotidiens auxquels nous ne prêtons pas toujours attention, alors qu'ils se produisent le plus fréquemment dans des endroits familiers et sur des objets usuels comme les qualifie A. Fleisher, photographe travaillant sur "la figuration possible de certains mécanismes invisibles qui opèrent dans l'inconscient : l'écoulement de la durée, la condensation, le déplacement".
La représentation sous forme de journal personnel d'une journée permet au spectateur de se projeter dans la même situation. Pour cela j'y glisse également une infime quantité de photos dîtes "normales", dans lesquelles je ne cherche qu'à mettre en confiance le spectateur. Le fait que ce soit un journal d'UNE journée permet de souligner que ces phénomènes chaotiques sont présents dans notre vie de tous les jours, à chaque moment de la journée, et dans n'importe quel lieu où nous nous trouvons.
Mon choix du Noir et Blanc pour accentuer le souvenir. Egalement parce que je souhaite renforcer l'aspect authentique de mes photos, et que selon Barthes, la couleur est postiche, pareille au fard. elle masque la réalité, alors qu'en noir et blanc, on parle de "vérité originelle".
L'accompagnement d'extraits de textes poétiques pour rejoindre le caractère poétique des sujets, ou des cadrages choisis. Pour que le spectateur ne sache pas exactement de quoi il s'agit; qu'il se perde. Je ne souhaite pas lui faciliter la compréhension de ces images, mais au contraire, le faire douter, se demander de quoi il peut s'agir; ce qu'il y discerne.
Ecrite de manière informatique, la typographie devait avoir un lien poétique avec les citations, mais également, ne pas multiplier les empattements pour éviter de tendre vers l'ornementation anecdotique et nous éloigner des textes. Elle est certes, quelque peu difficile à lire à l'envers, mais parce qu'elle est en italique, on peut la trouver gracieuse, précieuse, féminine. En effet, je ne voulais pas non plus m'éloigner de l'aspect personnel de ce journal. La technique à l'acétone me permet justement de me rapprocher d'une écriture manuelle. Je ne voulais pas avoir une typographie tout droit sortie de l'ordinateur, avec des superbes noirs; mais au contraire, montrer que, en quelque sorte, le temps fait son œuvre.
J'ai pour la plupart utilisé des extraits de poèmes d'auteurs célèbres comme Paul Valéry, Paul Verlaine, Louis Aragon, ou encore Lord Byron qui m'ont servi pour un aspect plus sentimental. Pour une dimension plus surréaliste, je me suis tournée vers André Breton; et pour finir, vers Khalil Gibran pour une vision plus philosophique.
Le côté nostalgique
L'aspect répétitif des techniques utilisées, des photos associées aux citations, de l'écriture informatique, apportent un côté machinal comme si toutes les journées se ressemblaient. On vit, on voit ces problèmes, ces troubles, quotidiennement. Mais pris par un engrenage, on ne cherche jamais véritablement le fond de nos soucis, de ces troubles persistants. Le calque met l'aspect poétique au premier plan, il laisse une certaine part de mystère et nous invite à prendre notre temps.
Tout cet ouvrage repose sur la dualité.
A travers les objets de notre vie quotidienne qui nous renvoient notre propre image. Un "nous" qui parfois nous surprend, nous fait peur, nous trouble, nous intrigue… On remarque qu'il y a deux techniques utilisées : photos + textes à l'acétone, deux supports : papier + calque, deux couleurs ou plutôt deux valeurs : le noir et le blanc.
Ces photos sont toutes centrées, comme lorsque le matin nous nous plaçons de telle sorte que nous soyons au milieu du miroir. La citation qui l'accompagne représente son reflet. Et c'est pour cela qu'elle est écrite de droite à gauche. Le calque permet ce phénomène de reflet, car il représente à la fois la citation écrite à l'endroit qui se superpose sur l'image afin de devenir lui même l'image; et à la fois, la citation écrite à l'envers, et de cette manière, le reflet de l'image.
Dans cet ouvrage nous sommes censés prendre notre temps, déchiffrer la citation en la lisant une première fois, puis une seconde fois, pour pouvoir après la répéter en regardant la photo.
Antinéa Legout
Le chaos psychologique, 2004-2005